D'écrire notre aventure
Nous cependant, nous voulons être les poètes de notre vie,
et cela avant tout dans les petites choses quotidiennes.
(Friedrich Nietzsche, Saint janvier )
Trouver les mots justes pour décrire le cheminement d'un groupe, c'est un peu comme jeter un filet dans le collectif pour ramener à la surface l'insaisissable qui cherche pourtant à se dire; un filet dont chaque maille aurait une taille différente et qui serait continuellement à repriser, le filet en quelque sorte du "pêcheur d'eau" de Guy Goffette - assied-toi donc mon âme, assieds-toi, laisse l'enfant de tes rides, l'enfant perdu, défaire le filet du pauvre pêcheur d'eau.
Quartier EcoSolidaire est une association dont les membres travaillent à l'édification d'un habitat conçu par et pour ses futurs habitants. La pierre angulaire de ce type de projet porté à plusieurs est toujours une rêverie partagée. Il s'agit en effet de dépasser les rêves personnels vers une capacité de rêverie développée par le groupe, une imagination créatrice qui ouvre un possible commun. Cette dimension d'utopie est nécessaire pour que l'habiter retrouve son envergure d'expérience éminemment sociale et poétique.
S'engager dans un projet d'habitat participatif, c'est découvrir peu à peu la profondeur et l'ampleur de ce qu'habiter représente pour l'être humain. Dans l'habiter, les hommes aspirent à un espace suffisamment appropriable pour les autoriser à trouver leur place dans l'ordre oïko-logique (écologie, de oïkos, "maison" et logos, "verbe"); les autoriser, c'est-à-dire leur permettre de devenir les auteurs de leur lieu de vie. Notre utopie est que se créent des lieux pour le séjour qui appellent à dialoguer avec la Vie.
N'est pas un hasard le fait que l'homme soit devenu un être de langage dans l'ordre de la Création. Son devoir même est de nommer, et combien plus de dialoguer, cela à tous les niveaux du Vivant, depuis les éléments jusqu'à la transcendance. (François Cheng)
Un projet en autopromotion est d'abord un lieu du déjà-possible. En réponse à une société technocratique produisant la désagrégation et l'anomie, il est l'espace du désir, celui de nouer de nouvelles relations avec l'environnement naturel, avec les autres et avec soi-même dans une logique de développement du non-marchand et de l'entraide. (Salvador Juan, Le temps et l'espace dans la maison solaire, revue Architecture & comportement, vol.3, n°1, 1986)
Les cinq années du premier projet porté par QES - "Fontaine aux Abeilles" - nous ont permis d'approfondir notre approche de l'habitat jusqu'à reformuler notre rapport à l'espace quotidien: dans ce qui passe chaque jour, qu'est-ce qui demeure? Le but est de mutualiser les fonctions de l'habitat pouvant être externalisées. Ceci suppose une relecture discriminante des espaces où se déroule son quotidien: qu'est-ce qui m'est essentiel et qui pour moi fait demeure?
Le problème n'est pas d'inventer l'espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd'hui pour penser notre environnement), mais de l'interroger ou, plus simplement encore, de le lire; car ce que nous appelons quotidienneté n'est pas évidence, mais opacité; une forme de cécité, une manière d'anesthésie. (Georges Pérec, Espèces d'espaces, Ed. Galilée, Paris, 1974/2000)
Valorisation des espaces intermédiaires par leur partage et par la mise à contribution de leur fonction sociale, choix de la simplicité architecturale et de la sous enchère technologique, démarche de construction biologique pour un habitat sain et vitalisant: l'intelligence collective qui conduit nos choix est une dynamique porteuse d'espérance dans une société en profond bouleversement et en mal de transcendance.
Y a-t-il appellation plus fausse que celle de notre monde occidental baptisé, à tort, "société de consommation", alors même que rares sont ses membres pouvant prétendre avoir consommé quoi que ce soit, au sens premier du terme latin consummare "faire la somme", mener une chose au terme de son accomplissement, achever, couronner, parfaire? (Gilles Farcet, Henry Thoreau. L'Eveillé du Nouveau Monde, Ed. Sang de la Terre, Paris, 1986)
Notre désir est de permettre à nos enfants de grandir dans un quotidien un peu plus édifiant qui leur montrerait, en reprenant le titre d'un ouvrage de Susan George, qu' un autre monde est possible si... .
Quelle planète laissons-nous à nos enfants? Quels enfants laisserons-nous à la planète? Telles sont les deux questions indissociables auxquelles nous devrons d'urgence désormais répondre de la manière la plus créative et la plus inspirée qui soit.
(Pierre Rhabi, Conscience et environnement )